Ouvrages
Lorsque la grande aiguille de ma montre a fait sa révolution sur le cadran, la porte de l'usine se rouvre et mon zigoto réapparaît. Il est plus furtifqu'un souvenir polisson et il se met à foncer dans la partie obscure du quai, la tronche rentrée dans les épaules... Il marche vite, sans courir cependant... Il semble avoir peur... Oui, pas de doute, il est terrorisé... Je lui laisse du champ et je démarre en douceur. Soudain, il se cabre. Dans l'ombre, devant lui, se tient une seconde auto, tous feux éteints... Il marque un temps et s'écarte pour passer. Dedans, j'aperçois vaguement deux silhouettes...
Quatre jours après cette partie de chasse mémorable qui se solda par une hécatombe, le Vieux me fait appeler dans son burlingue secret. La pièce est triste comme un vieux numéro de la "Revue boursière", et le maître des Services paraît aussi joyeux qu'une catastrophe minière. Il est droit devant son bureau d'acjou lorsque j'entre. Ses poings sont posés à chaque extrémité de son sous-main et son ront relié pleine peau de fessebrille à la lumière de son réflecteur. - " San-Antonio, vous ne devinerez jamais la raison pour laquelle je vous ai mandé... "
Moi, vous me connaissez? Je n'ai jamais eu peur de rien1 J'ai entendu siffler pas mal de balles à mes oreilles... Il m'est mème arrivé de ne pas les entendre passer pour la bonne raison que je les avais interceptées au vol... Je me suis bagarré avec des typesplus colosses que celui de l'île de Rhodes, j'ai pris des gnons... sans jamais connaître le sentiment de la peur. On m'a fait le coup de la baignoire, celui de la scie à métaux sur le tibia, les allumettes enflammées sous les ongles, la cigarette écrasée sur la joue, et toujours sans m'arracher un cri ni un mot. C'est à peine si je perdais le sourire. Et pourtant... aujourd'hui, " J'ai peur des mouches "... Ces minuscules diptères me terrorisent, car dans la contrée où je suis, elles véhiculent la mort... La plus atroce des morts.
Quand on prétend être un grand pêcheur, l'as de la ligne toutes catégories, il ne faut pas dévoiler ses secrets... surtout quand ils sont aussi curieux que ceux du valeureux Bérurier. Devinez avec quoi il appâte, le Gros? Avec certaines parties des bovins qui constituent toute la différence entre un taureau et un boeuf, si vous voyez ce que je veux dire? Et c'est à cause de cette bizarre technique que tout a commencé. Nous étions penchés sur un immense bac d'abats, aux Halles, à la recherche du morceau convoité, quand le père Pinaud qui nous avait accompagnés pousse un léger cri et s'évanouit. Un coup d'oeil dans le bac m'avait renseigné... Ce n'était vraiment pas beau à voir, et ça n'avait jamais appartenu à un Quadrupède !
Il me regarde avec intérêt et commisération. - Vous êtes monsieur Berthier ? demande-t-il. Il se dégrafe le col pour avoir plus de possibilités oratoires. - Non, réponds-je, pourquoi ? - Je venais à cause que Mme Berthier a eu un petit ennui, fait-il gauchement. - Ah ? - Oui, elle s'est fait écraser par une auto... - Et elle est morte ? - Tuée net. - C'est ce que vous appelez un petit ennui, vous ?
Il se soulève, prend sa chaise et me l'abat sur le crâne. Aussi fastoche que je viens de vous le dire. Mon bras paralysé par le coup de poêle à frire n'a pas eu la force de se lever pour braquer le soufflant. Je biche le siège en pleine bouille et illico je me trouve inscrit au barreau. Ça se met à toumiquer autour de moi. J'essaie de me cramponner à la table, mais des nèfles ! Je vais à dame. Le couple de petits rentiers tranquilles me saute alors dessus et fait une danse incantatoire sur ma personne